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Les stocks dormants, qu’est-ce que c’est ?

En anglais on parle de « deadstock » ce qui veut littéralement dire « stock mort ». Il est question ici de hagards dans le monde entier, de milliers de tonnes de tissus qui ont été écartés de la filière de production de vêtements et qui sont en attente d’on-ne-sait-pas-trop-quoi.

Pour comprendre ce que sont les stocks dormants et pourquoi ils sont dormant, il faut d’abord comprendre comment ces tissus arrivent dans cette impasse.

Le chemin de production des tissus

La majorité des textiles sont produits à la commande par des marques de vêtements. Le même principe est d’application pour toutes les grandes marques de vêtements de la fast-fashion au luxe. Une fois un vêtement dessiné, les designers passent en revue leurs carnet de textile, demandent des offres dans différentes usines. Négocient un prix et un planning. Et ils lancent la production.

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Imaginons que la marque imaginaire Xarara veut créer ce chemisier

Mais pour combien de mètres ?

Facile me direz-vous, s’ils veulent vendre 1000 chemisiers qui consomment 1,5 m de tel tissu, ils vont en produire 15000 m.

En réalité, à ce stade de la production il y a déjà une légère marge de surproduction parce que tous les rouleaux de tissus du monde ont des défauts. Il va donc y avoir quelques pourcents de marge en surproduction.

Mais l’arrivée des tissus sur les stocks dormant vient d’un autre phénomène de la consommation de la mode.

En réalité, l’entreprise de vêtement va d’abord produire un certain pourcentage des chemisiers. Mettons 50% pour le lancement de la collection. Si le succès est au rendez-vous, la production continue au fur et à mesure de la saison. Mais si les stock du chemisier ne s’écoulent pas, alors la production s’arrête et la marque se retrouve avec ce qu’il reste du tissu sur les bras.

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Et dans la logique de la consommation actuelle (toujours plus de nouveauté, toujours plus de quantité), ce tissu n’est pas toujours réutilisable pour un autre vêtement pour une prochaine saison. En effet, le stock restant est souvent trop petit pour garantir une vente à grande échelle si le nouveaux vêtement fonctionne bien.

C’est à ce moment-là, que beaucoup de tissus finissent dans les stocks dormants.

Les autres raisons de « réformer » les tissus dans les stocks dormants

Il y a de nombreuses autres raisons qui amènent des tissus en parfait état dans ces stock « morts ». Mais ce sont en général des plus petites quantités. En particulier, les marques font des tests lorsqu’ils veulent produire des tissus, des couleurs, des imprimés, des vêtements qui sortent un peu de la norme.

Et souvent un test demandera 10m ou 15m de production du tissu.

Toutes les productions tests « non-concluantes » sont donc envoyées vers les stocks dormants.

Il y a aussi les tissus qui ne sont plus «dans la tendance du moment » ou les tissus qui n’ont pas les bonnes caractéristiques (élasticité, transparence, etc etc). Et puis il y a toutes les erreurs de production.

Houps l’usine à imprimé 5000m sur un lycra au lieu d’un jersey de coton… on fait quoi ?

Ben on envoie out ça dans les stocks dormants.

Mais comment font les marques de vêtements pour définir leurs production de tissus en tenant compte de ses risques de surproduction ?

Le risque de trop, ou de ne pas assez produire

Les grandes marques de vêtements (de la fast-fashion au luxe) ont toujours naviguées entre deux risques dans la gestion de leurs production textile :

  • Celui de trop produire et de se retrouver avec des pertes en argents sonnant et trébuchant liées à des tissus non utilisés qui terminent dans les fameux « stocks dormants ».
  • Celui de ne pas assez produire et de ne plus avoir assez de tissus alors que le vêtements en question fonctionne effectivement bien. C’est le manque à gagner.
Un hall de production de métiers à tisser les velours

Mais depuis quelques années l’utilisation des stocks dormants a changé drastiquement la donne en donnant plus d’opportunité aux marques de vêtements de surproduire.

Je vous explique.

Un nouveau mécanisme apparemment écologique

La logique semble pourtant implacable.

Si vous êtes une plus petite marque de vêtements (ou un revendeur de tissu) avec une conscience écologique et éthique, les stocks dormants ressemblent à une fabuleuse aubaine.

Vous pouvez vendre du tissus ou produire des vêtements sans avoir à produire des tissus : en utilisant ce qui existe déjà. Ça ressemble presque à du seconde main, à de l’upcycling : valoriser des tissus qui resteraient sinon dormir dans un hangar.

Pour les petites marques de tissus et de vêtements, c’est même une des seule façon d’avoir accès à de la matière première à un prix concurrentiel.

En effet, les usines de production textile travaillent souvent avec des minimums de commande beaucoup trop élevés pour des petites marques de vêtements ou de tissus (beaucoup de marques de tissus ou magasins de tissus travaillent avec des stocks dormants).

Tricoteuse circulaire pour les mailles

Jusque-là, l’utilisation des tissus provenant des stocks dormant semble être la meilleure idée écologique du monde, n’est-ce pas ?

Une idée écologique qui encourage la surproduction

Mais voilà, la logique de consommation, et de surproduction est là pour profiter de ce système.

Rappelez-vous, les marques de vêtements ont toujours du définir les quantités de tissus pour éviter le risque sur production (perte d’argent) et de sous-production (manque à gagner).

Sauf que ces dernières années l’utilisation des stocks dormant est devenu un vrai phénomène en explosion. Une réalité qui permet aux grosses marques de vêtements de pousser le curseur de la surproduction en valorisant directement leurs surstocks.

Ils ne prennent presque plus de risque en surproduisant leurs tissus. En effet, si le vêtement ne se vend pas bien, les stock de tissus restant seront revalorisés, souvent au prix coutant via les stocks-plus-si-dormant que ça.

Le business des stocks dormants est en constante augmentation depuis environ 5 ans. Le nombre de marques de vêtements a conscience écologiques qui se fournissent dans ses stocks dormants a explosé. Et pourtant les stocks dormants sont de mieux en mieux fourni.

Zoom sur l’entrelacement des fils au coeur du métier à tisser

Pourquoi ?

Parce que ça permet à l’industrie textile, de la fast-fashion au luxe, de produire plus sans aucun risque. Si un vêtement fonctionne bien, ils ont le stocks sous le coude pour en vendre le plus possible. Si un vêtement ne fonctionne pas bien, ce n’est pas grave, le stock restant de tissu est revalorisé au prix de production.

C’est comme l’explosion de Vinted qui a finalement encouragé, légitimé, déculpabilisé beaucoup de consommateurs d’acheter plus de neufs puisqu’ils peuvent le revendre facilement derrière.

Mars’elle et les stocks dormants

Jusqu’il y a peu je pouvais vous dire que Mars’elle n’avait aucun lien avec les stocks dormants. Je parle souvent avec des personnes qui travaillent dans ce secteur et donc je le connais. Mais je n’achète pas les tissus de Mars’elle là-bas, et je n’y revends pas les tissus de Mars’elle « en fin de saison », parce qu’il n’y a pas de fin de saison chez Mars’elle.

Sauf que la collaboration avec Alice Vaninnis est une sorte de collaboration autour de ses stocks dormants. Ces tissus sont « les restes » après la production de ses vêtements.

Mais si j’ai accepté ce partenariat, c’est pour de nombreuses raisons que vous pouvez retrouver ici, mais c’est surtout parce que je sais que Alice est dans une démarche de production textile ULTRA responsable et raisonnée très loin de la surproduction.

Elle a elle aussi eu de nombreuses

Et notre petite collaboration ne va pas changer ça.

La clé n’est pas de bannir l’utilisation des stocks dormants. Ou des marques qui les utilisent. Certainement pas. La clé sera toujours de faire attention de consommer avec raison dans des choses , des tissus, des vêtements qui ont du sens pour vous. De les aimer, de les entretenir, de les faire durer.

Et d’en parler autour de vous.

C’est la logique de consommation à-tout-va qui perverti tout, qui trouve toutes les failles pour s’emballer et surproduire encore plus. C’est ce réflexe, cette logique qu’il faut questionner toujours plus.

Mars'elle

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Join the discussion 3 commentaires

  • Cocopatch dit :

    je me posais beaucoup de questions justement! merci pour cet article passionnant!

  • Bénédicte dit :

    Bonjour,
    merci pour cet article très instructif. je ne connaissait pas ces stocks dormants!
    Qu’il est difficile d’être cohérent dans son propre fonctionnement.J’essaye de faire moi aussi attention à mes achats -tissu bio , pas de viscose, utilisation de tout mon coupon,…..
    Mais je suis aussi dubitative face aux sites qui revendiquent du bio ou Oekotex mais avec aucun renseignement quant à la validation du label du lieu d’origine du tissu,….Le bio est devenu non plus un produit reflechi mais un argument de vente.
    A nous de ne pas se laisser berner et s’adresser aux personnes réellement engagée dans une démarche écologique
    Merci à vous

  • Maud dit :

    Coucou Rebecca, merci pour cet article qui formule très bien les interrogations que j’avais depuis quelques mois! Quand j’ai commencé à coudre j’ai cherché à avoir une cohérence avec mes intentions écolos et je me suis fixée des règles: pas de polyester, acheter en seconde main ou stock dormants les tissus, et si je veux du “neuf” : des matières naturelles et bio (coucou Mars’Elle <3). Aussi quand j'ai trouvé des merceries spécialisées dans les stocks dormants j'étais ravie, sauf que je me suis vite rendue compte qu'elles ne se valent pas toutes. Certaines font un vrai travail de revalorisation et de sélection (par exemple des usines situées en Europe, où il y a une traçabilité au moins partielle des conditions de production); d'autres font du "stock dormant washing" en rachetant à petit prix tout ce qu'ils trouvent, peu importe la matière et qui les a produit, et ont juste récemment commencé à parler de cet "upcycling" parce que c'est devenu à la mode.
    De même, quand Promod a commencé à vendre sur leur site leur fins de rouleaux, j'ai trouvé ça cool, mais depuis je m'interroge, car il n'y a aucune transparence/engagement de réduire leur production: est-ce que c'est vraiment une démarche responsable, ou est-ce que ça leur permet de continuer à produire autant, puisque de toutes façons le tissu sera vendu, vêtement ou coupon?
    Voilà, pour ma part je pense avoir trouvé les entreprises auxquelles je peux faire confiance, mais ça demande du temps d'aller regarder de près si les choses sont bien faites!

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